Lundi 30 janvier 2006 | CONVERGENCE |
de Bruno Guglielminetti
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Quand les blogueurs jouent dans
les plates-bandes des communicateurs
J'ai eu l'occasion récemment de m'adresser à un groupe d'experts en relations publiques. Un groupe d'élite, habitué à travailler fort pour faire passer les messages de ses clients à travers le filtre des journalistes. Dans un autre contexte, ma présentation aurait pu sembler presque anecdotique, mais pas pour eux. Je venais leur dire qu'ils devaient se préparer, car, s'ils trouvaient que les journalistes leur faisaient la vie dure, ils allaient trouver le temps long avec les blogueurs. Ai-je besoin de vous rappeler que la confrérie de la blogosphère compte déjà son lot de victimes. Pensez seulement à l'ex-président Bill Clinton et à son aventure extraconjugale révélée au grand jour par le Drudge Report. Ou au chef d'antenne Dan Rather mis à la retraite prématurément après qu'un carnet Web eut confirmé la fausseté d'un document évoqué par l'animateur-vedette de CBS au sujet du président des États-Unis. Ici, au pays, pas encore de victime ou de scandale. Beaucoup de discussions et de conjectures autour de procès très médiatisés, de commissions d'enquête, mais pas encore d'histoire générée à partir d'un blogue. Personnellement, j'attends toujours de lire les propos du premier fonctionnaire, à Québec ou Ottawa, qui balancera en ligne une histoire de malversation ou de mauvaise gestion des fonds publics comme la vérificatrice générale les aime. Entre-temps, les carnetiers du Québec y vont de coups de coeur, de coups de gueule, au gré de l'actualité et de leur quotidien personnel et professionnel. Tantôt pour parler d'un projet de loi, une initiative citoyen, du commerçant du coin ou tout simplement, de son voisin. Avec la notoriété de ce média en croissance au Québec, il sera amusant de voir comment les grands cabinets de communication vont aménager leurs stratégies de communication pour incorporer cette nouvelle race de monde. Car, contrairement aux journalistes et aux médias qui les emploient chez nous, les carnetiers n'ont pas de code d'éthique, pas de politique de rédaction, pas de Conseil de presse ou d'ombudsman qui les surveillent pour les ramener dans le droit chemin. Seules leurs consciences les guident dans leurs propos. Et comme plusieurs écrivent «en public» pour une première fois, sans nécessairement être conscients des règles de l'art, il arrive que certains carnetiers dérapent dans leurs commentaires. Certains politiciens et commerçants ont déjà commencé à goûter à la sauce de l'opinion des carnetiers. Mais, de l'autre côté, certains politiciens, dont les deux ténors de la souveraineté Gilles Duceppe et André Boisclair, ont déjà pris le virage et ajouté le blogue à leur arsenal de communication. Il en va de même pour certaines entreprises. La semaine dernière, le Cirque du Soleil a joué la carte du citoyen branché en invitant deux carnetiers à la première de Delirium. On a demandé aux internautes de bloguer en direct pour lancer la rumeur en ligne. L'impact n'était peut-être pas là dès le lendemain, mais le terrain était couvert. Le pouls Et c'est l'important pour le moment, car, de plus en plus, les cabinets de communication sondent le monde des blogues pour prendre le pouls de la société. Les mots des carnets se mêlent aux études de marché et aux sondages du matin. Et comme les mots et les impressions voyagent à la vitesse grand V sur Internet, les faiseurs d'images ont de quoi être alertes pour le bénéfice de leurs clients. Alors comment vont-ils s'y prendre maintenant pour «contrôler» le buzz de la blogosphère? Vont-ils commencer à inviter les blogueurs à des «junkets», ces événements, le plus souvent des voyages, organisés pour la presse? Pourquoi pas? La presse électronique spécialisée sur Internet a bien fait sa place dans le monde réel. Pourquoi pas quelques carnetiers dans les conférences de presse ou les grands lancements pour donner le ton et ajouter aux impressions en ligne. Car, après tout, vaut mieux avoir un bon mot à son sujet lors d'une recherche dans Technorati plutôt qu'aucun mot ou pire, de mauvais commentaires. Et les exemples ne manquent pas. La Maison-Blanche a autorisé deux carnetiers à participer quotidiennement au point de presse du président Bush. Le Bureau de tourisme des Pays-bas a invité 25 carnetiers en voyage pour découvrir les charmes d'Amsterdam. Et même Microsoft invite des blogueurs influents depuis quelques années. Nouvelle tendance Puisque je parle aujourd'hui de carnetier et de journaliste, je termine en soulignant une nouvelle tendance dans le monde des carnets Web qui a récemment trouvé écho dans les pages du New York Times et du Courrier International: l'interviewé qui publie sa version de l'entrevue. Depuis les débuts de la profession, les journalistes ont interviewé des gens pour ensuite reproduire, en partie ou en intégralité, leurs propos. Eh bien aujourd'hui, blogue aidant, des gens qui sont interviewés commencent à publier des notes sur ces interviews. À moins que ce ne soit carrément leur version de l'entrevue, avec enregistrement audio pour agrémenter le récit. Doit-on parler d'un rêve devenu réalité pour le grand club des mal cités de la planète? |
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