Lundi 19 janvier 2009 | CONVERGENCE |
de Bruno Guglielminetti
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Big Brother est en chacun de nous
On dit souvent que les internautes sont trop bavards sur Internet. Bien malgré eux, bon nombre d'entre eux ne font plus vraiment la différence entre l'espace public et l'espace privé, et ils se permettent en ligne des confidences qu'ils ne feraient pas dans la vie de tous les jours à un pur inconnu dans la rue. La plus belle illustration de ce type de comportement vient de paraître dans l'édition novembre-décembre du bimensuel français Le Tigre. La rédaction du magazine a décidé de faire des portraits d'internautes à partir de renseignements et de documents qu'eux-mêmes ont publiés sur Internet. Les portraits d'internautes baptisés «portraits Google» utilisent uniquement de l'information accessible librement sur Internet. Et croyez-moi, il n'en manque pas. Pour son premier portrait, la rédaction du Tigre a choisi un jeune homme dans la trentaine, employé d'une firme d'architecte de Nantes, Marc L. Un portrait réaliste Dans le cas du jeune Marc, celui-ci ayant toujours été très généreux de sa personne en ligne, à l'aide de documents trouvés sur Facebook, Flickr et YouTube, la rédaction du Tigre est arrivée à faire un assez bon portrait de la personne, assez bon du moins pour qu'un ami le reconnaisse et que le quotidien nantais Presse Océan arrive à le retrouver et recueillir ses impressions... Conscience journalistique oblige, la rédaction du Tigre précise bien que, dans son édition papier, les noms propres des personnes citées ont été «anonymisés», mais, en revanche, toutes les informations citées sont véridiques et étaient librement accessibles sur Internet. Et l'auteur du portrait, Raphaël Meltz, explique très bien sa démarche: «On prend un anonyme et on raconte sa vie grâce à toutes les traces qu'il a laissées, volontairement ou non sur Internet.» Dans ce portrait de deux pages, on apprend que cette rencontre virtuelle avec le jeune homme commence d'abord par le portail de photos Flickr. À partir de l'album photos que le jeune Marc propose sur Internet, le rédacteur du portrait apprend à le connaître. Il y découvre des milliers de photos de voyage: plus de dix-sept mille photos en moins de deux ans sont offertes aux yeux de tous. Et c'est comme ça que le journaliste du Tigre fait la connaissance de Marc ou, plutôt, de sa belle gueule, avec ses cheveux mi-longs, son visage fin et ses grands yeux curieux. «Bon anniversaire, Marc. Le 5 décembre 2008, tu fêteras tes vingt-neuf ans.» C'est à l'aide d'une date d'anniversaire disponible sur Facebook que débute le portrait du jeune Français. Par la suite, on découvre que Marc est venu en voyage à Montréal au mois d'août dernier. Une photo prise au «Starbucks Café de Montréal» illustre son «voyage au Canada». Et à en juger par les photos, «la soirée avait l'air sympa, comme d'ailleurs tout le week-end que vous avez passé à Vancouver. Vous avez loué un scooter, vous êtes allés au bord de la mer, mais vous ne vous êtes pas baignés, [vous avez] juste traîné sur la plage.» Et pour bien camper le personnage que l'on découvre, l'auteur du portrait aura recours aux renseignements publiés par Marc dans sa page Facebook et il découvrira rapidement que celui-ci est «assistant au "service d'architecture intérieur", dans un gros cabinet d'architectes depuis septembre dernier». Retour à Montréal avec l'aide des photos disponible sur Flick: «Donc à Montréal, tu étais dans un bureau avec Steven, Philipp, Peter, en train de travailler sur des plans d'architecte, devant deux ordinateurs, un fixe et un portable. En agrandissant la photo, on peut même voir que tu avais un portable Packard-Bell et que tu utilisais des pages de brouillon comme tapis de souris.» Démonstration éloquente Côté coeur, le portrait du Tigre fait découvrir un célibataire et hétérosexuel grâce aux renseignements disponibles sur Facebook, et Flick nous illustre une histoire d'amour au printemps 2008 avec une Claudia R. Et avant Claudia, il y a eu Jennifer, avec qui Marc a passé deux ans de sa vie, les photos laissant encore une fois des preuves indélébiles de cette histoire. Et dans les deux cas, en regardant les photos et les vidéos offertes en ligne par Marc, on découvre l'évolution de ces relations. On découvre leurs intérêts, leurs activités, leurs préférences et, au détour, leurs amis et les activités et préférences de leurs amis. Durant cette collecte de renseignements au sujet de Marc L., le journaliste obtiendra même le numéro du téléphone cellulaire du jeune nantais. Voilà pour la démonstration. Si vous êtes curieux, le texte complet de ce portrait est disponible sur le site du magazine Le Tigre (www.le-tigre.net). Pour ce qui est de la réaction de l'intéressé, Marc L. a confié au quotidien Presse Océan: «Quand j'ai appris l'existence de cet article, cela m'a fait sourire. Quand j'ai commencé sa lecture, cela m'a fait pâlir.» Alerté par un ami qui avait lu le portrait du magazine, Marc L. dit ne pas avoir dormi les nuits suivantes et immédiatement avoir retiré tous ses renseignements et documents le concernant d'Internet. Il ajoute: «C'est sûr, j'ai été un bon client, car j'ai laissé beaucoup de choses traîner sur le Net. J'aurais seulement préféré que cela ne me tombe pas dessus. C'est une leçon à retenir.» |
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