À en croire la dernière analyse du grand patron du site Technorati, la blogosphère va très bien. On peut même parler d'un succès phénoménal. Chaque jour, plus précisément à chaque seconde de la journée, un nouveau carnet Web verrait le jour sur Internet. Du carnet personnel, en passant par le carnet d'entreprise ou professionnel, il semble que si nous désirons exister maintenant sur Internet, la nouvelle façon de le faire c'est d'avoir son blogue.

Et pourtant, même si le phénomène est mondial, il semble que les internautes québécois ne portent pas encore énormément attention à ce nouveau type de média. En juin dernier, une enquête NETendances de Léger Marketing abordait l'intérêt des Québécois pour le nouveau modèle de communication. Selon l'enquête, seulement 12,3 % des adultes québécois avaient déjà consulté un blogue. Comparativement, chez nos voisins américains, le Pew Research Center confirme que 25 % des internautes américains consultent les carnets Web. Mieux encore, 9 % des internautes américains ont leur propre blogue.

Qu'est-ce qu'un blogue, me direz-vous? C'est un type de site Web, rédigé généralement par une seule personne, où il est possible de lire les commentaires et les réflexions du rédacteur sur ses sujets d'intérêt. Généralement, le rédacteur offre à ses lecteurs la possibilité de commenter ses propos. Ce qui permet une interaction entre le rédacteur et le lecteur. Dans certains cas, lorsque le carnètier est un expert dans un domaine en particulier, le carnet Web peut rapidement devenir une référence au même titre qu'un éditorialiste ou un chroniqueur dans un quotidien.

L'état de la blogosphère

Mais revenons à ce dernier bilan de santé de la blogosphère, ce monde d'interconnexion entre les propos et les sources des uns et des autres. Selon le grand patron de Technorati, Dave Sifry, le mois dernier, il y aurait eu une moyenne de 900 000 messages publiés quotidiennement dans les carnets Web de la blogosphère. Ça signifie 37 500 messages par heure ou 10,4 messages à la seconde. Toujours selon l'analyse de Technorati, qui recense plus de 14 millions de blogues, il y aurait l'apparition d'une moyenne de 80 000 nouveaux blogues chaque jour sur Internet. Ce qui explique que le nombre de carnets Web double tous les 5,5 mois.

Et l'engouement permanent pour ce type de communication ne se dément pas depuis trois ans. Bien qu'au printemps 2003 on commençait à enregistrer l'importante du nouveau type de publication sur Internet, c'est probablement l'année 2004 qui sera considéré l'année charnière dans le développement de l'outil de communication. Car l'an dernier, à deux occasions, on a vu la taille de la blogosphère doubler. D'ailleurs, le site Blogpulse, un des sites phares qui mesure les tendances dans l'univers des blogues, va bientôt passer le cap des 15 millions de blogues indexés. Ce qui pousse certains analystes de la scène à prévoir que d'ici la fin de l'année, nous aurons probablement dépassé le cap des 50 millions de blogues sur Internet.

On blogue chez MSN, Yahoo et AOL

Même s'ils ont décodé le phénomène un peu tardivement, aujourd'hui tous les grands de l'Internet, comme Yahoo ou AOL, ont intégré dans leurs offres de service ce nouvel outil de communication. Voilà qui s'ajoute aux nombreux services déjà existant comme ceux de Blogger, LiveJournal, WordPress, Movable Type.

Côté francophonie, un des pionniers dans le domaine demeure le groupe Branchez-vous avec son service Mon Blogue. Disponible en version gratuite et payante, le service Mon Blogue offre la création et d'hébergement de blogue dans la francophonie depuis l'émergence du phénomène.

Même le géant Microsoft vient finalement de s'y mettre avec la création de son service MSN Spaces et d'un réseau de blogues anglophones baptisé MSN Filter. L'éditeur américain y trouve son compte puisqu'il peut bénéficier de contenu à peu de frais, alimenté par des internautes qui viennent y livrer leur réflexion de la semaine. Cette masse critique de collaborateurs lui permet d'offrir un nouveau centre d'information collaboratif. MSN Filter aborde particulièrement cinq grands thèmes dont le mode de vie, les sports, la musique, la télévision et la technologie. Et voilà pour le «journalisme participatif»!

Cela étant dit, il faut également savoir que la blogosphère regorge d'épaves. La plus récente analyse de Technorati confirme que 45 % des carnets Web recensés seraient considérés comme inactifs. En fait, seulement 13 % des blogues seraient mis à jour au moins une fois par semaine.

Un scandale québécois

Chez nous, la blogosphère québécoise a maintenant ses vedettes et son actualité. Évidemment, le lot de personnalité qui arrive dans le domaine du carnet Web amène également son lot d'actualité, et même de controverse. La dernière histoire digne de mention remonte à la mi-juillet et concerne la polémique autour du blogue d'André Boisclair, le candidat à la direction du Parti québécois.

Lors d'une entrevue à la radio, une animatrice a demandé à l'homme politique s'il pouvait lui jurer que c'était bien lui qui rédigeait son blogue (www.andreboisclair.ca/blogue). Probablement dans un élan d'honnêteté intellectuelle, il répondit qu'il avait des collaborateurs qui travaillaient avec lui sur son blogue. Ajoutant aussitôt qu'il prenait le temps de lire son carnet et qu'il prenait le temps de répondre personnellement à quelques lecteurs.

Il aura fallu seulement quelques minutes pour que des dizaines et des dizaines de gens se branchent sur son carnet pour déchirer leur chemise au nom de l'éthique, l'honnêteté et la confiance. Mais l'homme public était coincé entre l'arbre et l'écorce. Car d'une part, des lecteurs le condamnaient parce qu'il n'était pas seul à écrire les textes de son carnet personnel et, de l'autre côté, des lecteurs le condamnaient parce qu'il donnait l'impression d'écrire lui-même son carnet, alors qu'il venait d'avouer le contraire à la radio.

Devant un tel vent de protestation, André Boisclair a dû répondre de sa plume le lendemain, sur son carnet, pour remettre les pendules à l'heure et préciser le mode de production entourant son carnet: «Chaque jour, même lorsque je suis en tournée, on m'imprime les très nombreux courriels que je reçois ainsi que les textes du blogue. Je trouve important d'en être informé, d'une part par respect pour la personne qui prend le temps de m'écrire, et d'autre part parce que ça me permet de prendre le pouls de gens qui ne s'expriment pas dans d'autres forums. L'administrateur du blogue répond à certaines personnes au nom du Comité alors que je réponds moi-même à d'autres en mon nom propre. La plupart du temps, je dicte mes réponses par téléphone. Je procède de la même manière pour les textes du blogue ».

Qui est derrière le clavier?

En marge de cette discussion, certains lecteurs ont évoqué l'exemple du démocrate Howard Dean qui demeure la référence dans le domaine de l'utilisation d'Internet en politique. Mais il est important de savoir que même dans le camp de Dean, bien qu'il fut un habile stratège dans l'utilisation de l'outil, c'est à son équipe de communication qu'il a fait confiance pour opérer son site pendant les mois de campagne. Bien que des milliers de lecteurs aient eux l'impression d'y lire les propos du candidat à la chefferie démocrate de 2003, c'est bien plus les propos des rédacteurs Matthew Gross, Zephyr Teachout et Kate O'Connor qu'ils ont lus. À ce sujet, le site Online Journalism Review présente un excellent article du journaliste Mark Glaser.

Mieux encore, et surtout plus près de chez nous, il existe depuis longtemps des carnets et des sites de personnalités du domaine des arts, du sport et de la politique qui n'ont de lien avec leur sujet que leur titre. Bon nombre d'athlètes n'ont pas le temps d'aller faire la mise à jour de leur site Web après une compétition, pas plus que d'écrire un petit mot après un concert ou encore de commenter une belle journée d'épluchette de blé d'Inde avec des électeurs du comté. Il est vrai qu'il est difficile de voir qui se cache de l'autre côté du clavier.